La densification urbaine semble s’imposer progressivement dans les politiques d’aménagement comme une norme pour la mise en œuvre d’un développement urbain durable. Cette valorisation de la « ville compacte » par rapport à la « ville émiettée » (Charmes, 2011) révèle d’ailleurs le glissement progressif du débat sur la densité. Ainsi, « après avoir été considérée comme une source des plus graves pathologies urbaines, la densité apparaît aujourd’hui comme un antidote à la crise environnementale et comme un idéal pour les villes » (Touati, 2010). En revanche, la ville périurbaine étalée est dénoncée comme inappropriée, voire « insoutenable » face aux enjeux du développement durable (Berque et al., 2006). Progressivement, la charte d’Athènes, dictant l’urbanisme moderne, est détrônée par la charte d’Aalborg posant les piliers de l’urbanisme durable (Emelianof, 2001, 2008).
Dès lors, la densification des tissus urbains existants s’impose comme outil de lutte contre l’étalement urbain et moyen de préservation des terres agricoles. Cette urbanisation en densification est peu à peu encouragée dans les textes de loi : dès 2000 par la loi Solidarité et Renouvellement Urbains, en 2009 et 2010 avec les lois dites Grenelle, puis en 2014 avec la loi pour l’accès au logement et l’urbanisme rénové dite loi ALUR. Cependant, cette législation reste souple et permet l’adaptation des objectifs d’économie d’espace aux enjeux locaux. De ce fait, le manque d’encadrement et de définition risque de « laisser la densification comme un vœu pieux face aux impératifs de développement économique local » (Schellenberger, 2014). Chaque territoire est donc libre de définir sa politique et ses objectifs chiffrés d’économie d’espaces agricoles (Renard, 2011).
De fait, malgré ces lois, dans le contexte des territoires périurbains de l’Ouest de la France, l’habitat pavillonnaire reste une tendance régionale très marquée. Ainsi, en Bretagne comme dans les Pays de la Loire, 72 % des logements sont des maisons en 2012 contre 56 % à l’échelle nationale. Par ailleurs, du fait de l’attractivité combinée des métropoles et du littoral, ces deux régions comptent parmi les plus attractives de France (Borzic, 2014). Cette forte demande en nouveaux logements, renforcée par la diminution du nombre de personnes par ménage, participe à « la crise du logement », ainsi qu’à la hausse des prix du foncier et de l’immobilier en ville, incitant les jeunes ménages à devenir propriétaires hors des pôles urbains (Dumont, 2014). Par conséquent, nombre de communes périurbaines sont amenées à s’étendre par nappes de lotissements successifs.
En parallèle, l’urbanisation en densification, déjà mise en œuvre dans les métropoles, est encouragée dans les communes périurbaines voire rurales. De nombreux acteurs participent à l’essaimage de différentes pratiques de renouvellement urbain à l’adresse des petites communes. Ainsi, on peut citer l’exemple d’une densification planifiée animée auprès des communes par les Établissements Publics Fonciers (EPF) comme celui de la région Bretagne. En effet, ces établissements réalisent ce qui s’appelle du portage foncier pour le compte des collectivités engagées dans des projets de renouvellement urbain. Concrètement, ils réalisent l’achat de terrains pour une durée de cinq ans environ, ce qui permet en théorie à la commune de réaliser une opération. Il s’agit de lui éviter d’alourdir son budget. L’EPF Bretagne réalise des projets pilotes de revitalisation de centre-bourgs, diffusant même ces expérimentations auprès de l’État avec l’Appel à Manifestation d’Intérêt pour la revitalisation des centres-bourgs. Cette dernière démarche dégage des fonds publics auprès d’une cinquantaine de communes de 10 000 habitants.
1. Méthodologie
Bien que le modèle pavillonnaire reste dominant dans le périurbain, des projets en densification voient pourtant le jour. L’approche adoptée ici questionne la fabrique du périurbain, afin de « sortir de la périurbanisation comme problème, selon lequel on serait devant une sorte de « sous-ville » malencontreusement produite en périphérie par manque de vigilance collective, et [d’] aller vers la périurbanisation comme projet, contribution à une pensée intégrée de la ville et de ses territoires » (Vanier, 2011). Cette étude, réalisée dans le cadre d’un master 2 à l’Institut de Géographie de l’Université de Nantes (IGARUN), s’attache donc à ce contexte de diffusion de formes en renouvellement urbain au-delà des communes périphériques des métropoles. Elle cherche à comprendre comment, dans ce contexte périurbain, se fabrique cet urbanisme en rupture avec le modèle dominant de l’étalement urbain pavillonnaire (Dodier et al., 2012).
L’aire d’étude retenue comme champ d’investigation est située entre les métropoles de Rennes et Nantes, en suivant l’axe de la voie rapide N137. Elle couvre donc un espace périurbain multiple, allant des communes sous forte influence métropolitaine aux communes plus rurales. Cet échantillon de territoire hors des découpages administratifs révèle aussi des attitudes propres à chaque échelon territorial, car il porte sur deux régions, la Bretagne et les Pays de la Loire, deux départements, l’Ille-et-Vilaine et la Loire-Atlantique, 90 communes et sept Schémas de Cohérence Territoriaux (SCoT) (fig. 1).
Dans un premier temps, une trentaine de projets en densification ont été repérés, qu’ils soient à l’état d’étude de faisabilité urbaine ou d’opérations déjà construites. Cinq opérations de logements, réalisées ou en cours entre 2005 et 2015, ont été plus particulièrement étudiées en tant que projets en rupture avec l’étalement urbain pavillonnaire. Il s’agit des projets de Cœur de Bourg d’Orgères (35), livré en 2009, du Clos de la Charbonnière sur le bourg de la Paquelais à Vigneux-de-Bretagne (44), livré en fin d’année 2014. Trois autres projets sont en cours de réalisation : le quartier du Dareau à Petit-Mars (44) et le projet du Clos de l’Orrières à Vern-sur-Seiche (35), ainsi que la zone d’aménagement concertée (ZAC) du Miron à Vigneux-de-Bretagne. Ces opérations sont inscrites en densification du tissu urbain existant, soit dans une « dent creuse », soit en renouvellement urbain, comme par exemple à l’emplacement d’une friche laissée par le départ d’un supermarché dans l’enveloppe urbaine d’un bourg. Chacune de ces opérations a fait l’objet d’entretiens avec les élus municipaux, les opérateurs (bailleurs, promoteurs ou aménageurs), les urbanistes impliqués dans le projet. Au total, 20 entretiens ont servis de source pour dresser ce portrait d’une urbanisation en densification émergeant dans ces communes périurbaines, dont 13 concernent directement les cinq projets présentés dans cet article (fig. 2, 3 et 4).
Figure 2 – relevé de projets en densification, localisation et entretiens réalisés sur les cinq projets étudiés
2. Un urbanisme opportuniste plutôt qu’idéologique
Le développement urbain durable à la libre interprétation des acteurs
Nous postulions, comme hypothèse de travail, que l’urbanisation en densification puisait ses références dans un mouvement écologique quasi-militant, proposant un positionnement idéologique ambitieux de lutte contre l’étalement urbain. Or, les entretiens réalisés démontrent que les opérations étudiées sont toutes issues d’opportunités foncières plutôt que d’une volonté politique de lutter contre l’étalement urbain. De plus, les communes ayant réalisé ces opérations en densification développent en parallèle une urbanisation en extension. Ainsi, le projet de cœur de bourg à Orgères propose 68 logements sur 0,79 ha de surface, alors que la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC) des Prairies d’Orgères en planifie 1 000 sur 43 ha, soit 50 fois plus d’espace pour seulement 14 fois plus de logements. La législation en faveur de la lutte contre l’étalement urbain reste donc suffisamment floue pour que chaque commune dispose de grandes réserves foncières dédiées à la construction de logements futurs. À la question « selon vous qu’est-ce qu’un développement urbain durable pour votre commune ? », aucun des sept élus interrogés n’associe directement cette problématique à la limitation des extensions urbaines. Ils développent plutôt des réponses variées. Trois d’entre eux témoignent d’une certaine connaissance des trois piliers du développement durable et mettent l’accent sur le volet social de leur politique urbaine. Deux autres l’abordent par un volet plus technique de l’aménagement, s’appuyant sur leur connaissance des moyens à mettre en œuvre dans la planification d’un quartier en extension urbaine considéré comme durable (gestion des eaux, apport en énergie renouvelable, création de cheminements piétons...). Enfin, un autre élu associe directement l’enjeu de développement durable à celui du développement économique de sa commune, passant par la création d’un nouveau quartier en extension urbaine. Même si ces réponses interprètent différemment ce que peut être le développement urbain durable à l’échelle des communes étudiées, elles témoignent néanmoins du fait que l’urbanisme durable devienne le « principal référentiel » des politiques publiques d’aménagement (Emelianoff, 2001, 2008).
De multiples accompagnateurs préconisent leur vision d’un urbanisme durable
Si idéologie il y a, elle provient du faisceau d’acteurs opérant auprès des communes comme les agences d’urbanisme des métropoles, les établissements publics fonciers, les départements, les Conseils en Architecture, Urbanisme et Environnement (CAUE), des réseaux associatifs de communes comme Bruded (Bretagne rurale et rurbaine pour un développement durable)... Chacun d’eux diffuse alors sa propre vision de l’urbanisme durable, leurs actions parallèles soulevant parfois des contradictions. Deux exemples peuvent illustrer ces difficultés de cohérence.
Le premier porte sur l’assistance à maîtrise d’ouvrage d’un aménageur très urbain, la SA-MOA (Société d’aménagement de la Métropole de l’Ouest Atlantique), en charge du grand projet de renouvellement urbain de l’Île de Nantes. Celle-ci, avec l’intercommunalité d’Erdre et Gesvres, apporte son savoir-faire aux communes classées comme pôles structurant du territoire, pour la mise en place de plans de références favorisant des opérations en densification. Cette diffusion d’ingénierie très urbaine par un acteur métropolitain est remise en question par des élus de territoires périurbains se revendiquant comme ruraux. Ceux-ci interrompent la collaboration et ne prolongent pas avec la SAMOA la phase opérationnelle des études. La démarche est malgré tout poursuivie par l’intercommunalité dans les autres communes. Elle participe donc à révéler les potentiels de densification existants dans les centres-bourgs.
Le deuxième exemple illustre les difficultés de mise en cohérence des politiques de lutte contre l’étalement urbain à l’échelle départementale de la Loire-Atlantique. Tout d’abord, le CAUE anime, depuis plus de dix ans, une réflexion sur les qualités des aménagements et intervient auprès de communes éloignées de la métropole par le biais d’études préalables souvent orientées vers la limitation de l’étalement urbain. En 2013, il organise un colloque sur la densification, regroupant près de 200 participants, nommé Renouvellement urbain et requalification des centres-bourgs qui se complète d’un module de formation en direction des élus. Or, le CAUE a été récemment inclus dans l’Agence Départementale Loire Atlantique Développement. Cette structure départementale d’aménagement en direction des territoires ruraux le rapproche dès lors de la SELA, Société d’Équipement de Loire-Atlantique. Or, une certaine inquiétude se fait sentir quant à la capacité du CAUE à exercer son rôle de conseil indépendant auprès des communes (communiqué du Conseil National de l’Ordre des Architectes, février 2013). D’autant plus qu’en parallèle, les contrats de territoires 2013-2015 du Conseil Départemental de Loire-Atlantique ne posent pas comme condition la lutte contre l’étalement urbain dans l’accord des subventions aux communes.
Ainsi, si la lutte contre l’étalement urbain semble se diffuser dans les territoires périurbains, les politiques et les impulsions en cette direction demeurent floues et parfois contradictoires. Il sera nécessaire d’observer comment, à terme, les intercommunalités périurbaines dotées parfois de Schémas de Cohérence Territoriaux ambitieux sur ce volet de l’économie du foncier agricole mettent en œuvre cette urbanisation en densification.
3. La difficile faisabilité de la densification
La capacité d’une municipalité à se tourner vers de tels projets en densification d’un tissu urbain déjà constitué est d’autant plus difficile que leur mise en œuvre présente beaucoup de contraintes, tant d’un point de vue économique, technique qu’opérationnel.
L’impossible rentabilité de la densification
D’un point de vue économique, les projets en densification dans le périurbain sont risqués pour les opérateurs et représentent un poids financier non négligeable pour les communes. En effet, par rapport à une opération en extension urbaine, créée ex nihilo, une opération dans l’existant nécessite des investissements beaucoup plus conséquents. Tout d’abord, la sectorisation du marché foncier classe les terrains en renouvellement urbain dans un segment de prix plus élevé que les terrains à viabiliser comme les terrains agricoles ou naturels. Les études préalables sont plus nombreuses et plus délicates. Elles concernent les sols, les fondations avoisinantes, les diagnostics du bâti existant, etc. (CERTU, 2011). L’aménagement peut réserver des surprises, comme dans le cas d’une partie du sous-sol impropre à la construction dans le quartier du Dareau, à Petit-Mars. Enfin, le travail avec le voisinage nécessite une concertation de terrain tout au long des études et du chantier. Par conséquent, dans le bilan, l’équilibre entre la colonne des dépenses et des recettes se fait difficilement.
À ces contraintes techniques pesant sur les dépenses s’ajoute une colonne des recettes limitée, celles-ci étant proportionnelles au nombre de logements ou de mètres carrés réalisés. Tout d’abord, les plans locaux d’urbanisme (PLU) des quatre communes étudiées montrent que les hauteurs permises limitent la construction à deux étages, voire trois dans les centres-bourgs, et à un étage dans les zones pavillonnaires déjà existantes. Quant à l’obligation fréquente de réaliser deux places de stationnement par logement, elle limite aussi la capacité à construire des opérateurs. Par ailleurs, la notion de ruralité est convoquée, notamment dans les deux communes situées à plus de 20 kilomètres de Nantes, pour affirmer un choix de programmation peu dense orienté vers la maison plutôt que le collectif. « On est à la campagne, un petit bourg rural, alors un collectif… », comme l’affirme le maire de Vigneux-de-Bretagne en parlant de l’opération du Clos de la Charbonnière.
Pourtant, si la maison semble plébiscitée dans le périurbain, sur les cinq opérations en densification étudiées, elle ne représente que 9 % des logements programmés. Cela s’explique par le fait que les deux opérations réalisées dans les communes périurbaines de Rennes Métropole, Orgères et Vern-sur-Seiche, s’orientent vers la création de collectifs ayant un ou deux étages supplémentaires par rapport aux gabarits avoisinants, créant ainsi une rupture d’échelle affirmée qui répond à la politique d’incitation à la densification menée par Rennes Métropole. En conclusion, cette limitation de la capacité à construire en densification s’exprime surtout dans les communes périurbaines les plus éloignées des centres métropolitains. Elle relève d’une culture dite « rurale » de l’habitat mais aussi de la culture urbaine métropolitaine.
Les acteurs très prudents
Au vu de ces contraintes techniques et financières, communes et opérateurs restent donc « frileux » vis-à-vis de ce type d’opération. D’une part, les acteurs rencontrés témoignent de leur réticence à s’engager dans ces projets loin d’être balisés par les ratios génériques propres aux projets en extension urbaine, qui ne rencontrent pas les difficultés et les risques d’insertion dans un tissu bâti existant. En effet, qu’ils soient aménageurs semi-publics, bailleurs (entreprise ou office HLM) ou promoteurs, leur approche de l’aménagement ne porte pas d’idéologie autre que le respect des lois et la nécessité de réaliser une opération réussie trouvant locataires ou acheteurs. Les projets en densification urbaine, qui comportent rarement des lots libres de constructeurs contrairement aux opérations en extension, doivent de plus respecter des normes plus contraignantes, ce qui génère des surcoûts. On peut citer les normes relatives à l’accessibilité des logements aux personnes à mobilité réduite ou à la sécurité incendie, les réglementations thermiques, le recours à l’architecte, aux bureaux d’études (thermiques, structures, fluides...). Ce sont également les règles des marchés publics qui s’appliquent, la sectorisation du marché étant différente et engendrant des procédures administratives plus complexes. Ainsi, dans les contextes périurbains éloignés des métropoles, les projets en densification n’intéressent pas les constructeurs et ne sont pas rentables pour les promoteurs (Castel, 2007). Cependant, certains constructeurs de maisons individuelles commencent à percevoir la nécessité de s’adapter à ces nouveaux marchés plus complexes (sujet évoqué lors du colloque Osez la densité pour bâtir de nouvelles façons d’habiter, organisé par l’EPF de Poitou Charentes, l’EPF de Vendée et l’Agence Foncière de Loire-Atlantique le 3 juillet 2015 aux Herbiers).
Un portage quasi impossible pour les maires
D’autre part, les élus eux-mêmes ne souhaitent pas forcément abonder au budget de l’opération et apporter cette « subvention d’équilibre » qui permettra d’équilibrer le bilan de l’aménagement. Ceux-ci peinent à s’affirmer comme porteur de projet auprès des opérateurs, car la loi de l’offre et de la demande ne leur est pas favorable, ce qui limite leur capacité de négociation. En effet, le bailleur, le promoteur ou l’aménageur ne s’engageront dans un projet de densification que s’ils ont la certitude de pouvoir louer ou vendre les logements construits, ce qui pénalise les territoires les moins attractifs. Cependant, il semble que le positionnement de l’élu dans cette négociation peut jouer un rôle très important dans sa capacité à faire aboutir un projet en densification. La complexité du montage d’une opération de logements dans un centre-bourg nécessite de la part de la commune d’élaborer un projet urbain, de maîtriser le foncier et de faire preuve d’une certaine technicité pour faire avancer un tel dossier. Avoir un projet à long terme précis et maîtriser ces compétences permet alors à l’élu d’être en position de porteur d’affaires auprès des opérateurs, comme dans le cas d’Orgères.
À cette liste de contraintes s’ajoute la notion de temps de projet. Un projet en densification est plus long que le mandat d’un maire, huit ans en moyenne sur les cinq cas étudiés, contre deux ans et demi pour des projets en extension comparables en nombre de logements. Ces opérations sont donc difficiles à porter d’un mandat à l’autre et souvent remises en cause par les changements électoraux, comme le montre l’exemple de la ZAC du Miron à Vigneux-de-Bretagne. À l’inverse, la stabilité politique et la volonté d’un élu ou d’une équipe, qui apprend en faisant, permet l’aboutissement d’un projet, malgré les difficultés rencontrées et les négociations serrées avec les opérateurs en jeu. À cet effet, des projets urbains guidant le développement d’une commune sur le long terme peuvent être des outils permettant la continuité d’une urbanisation en densification. Les plans de référence mis en œuvre dans les communes d’Erdre et Gesvres ou le projet urbain de la commune d’Orgères sont des exemples de projets globaux sur le long terme programmant à la fois le renouvellement urbain et les futures extensions urbaines. Les accompagnateurs, comme les intercommunalités ou les EPF, incitent ainsi les communes à se doter de véritables projets urbains allant plus loin que les Plans Locaux d’Urbanisme.
Enfin, les maires sont dans une position très difficile pour mener à bien ces projets, notamment quand ceux-ci nécessitent l’achat de terrains privés et des procédures d’expropriation. La proximité entre le maire et ses concitoyens dans une commune rurale rend délicat le recours à de tels procédés ayant lieu couramment dans des opérations de renouvellement urbain des grandes villes.
À l’heure actuelle, ces difficultés cumulées ne permettent pas aux projets de densification des communes rurales et périurbaines de s’imposer comme une réelle alternative à l’étalement urbain.
4. Les prémices d’une urbanisation en renouvellement
Néanmoins, cette urbanisation en densification répond à des besoins exprimés par les communes en termes de logements, mais aussi porte en germes d’autres manières d’aménager un espace communal partagé.
L’acceptation de la densité : en centre-bourg seulement
Dans un premier temps, la densification permet la création d’une offre de logements plus diversifiée sur les communes où les logements neufs sont bien souvent essentiellement des maisons pavillonnaires. D’autres types d’habitat comme des maisons de ville accolées, de petits collectifs ont droit de citer en renouvellement urbain. Ces nouveaux logements de centre-bourg sont destinés majoritairement à un public autre que familial : personnes seules, âgées ou jeunes couples qui peinent à trouver une offre locative ou en accession adaptée à leurs besoins. Mais cette segmentation de l’offre opère une micro-ségrégation à l’échelle des communes. En effet, aucun des acteurs rencontrés ne conçoit que des projets en centre-bourg puissent également intéresser des familles. La maison de lotissement s’érige alors définitivement comme seule forme d’habitat pour les couples avec enfants dans le périurbain.
Dans un second temps, un regard sur les plans locaux d’urbanisme des communes étudiées illustre l’acceptation de la densification dans les centres-bourgs et sa limitation dans les zones pavillonnaires. En effet, les zonages décrivent généralement des centres-bourgs suivant trois grandes typologies : le centre ancien, les extensions pavillonnaires déjà constituées et les futures extensions. Dans toutes les communes, les gabarits limitent peu la densification dans les centres et les futures extensions, où les hauteurs acceptées permettent des constructions de deux étages, voire plus. Tandis que dans les extensions urbaines pavillonnaires déjà constituées, les gabarits limitent les hauteurs à un étage, exigent des reculs de cinq mètres vis-à-vis de la voirie. Les jardins et les fonds de parcelles sont également peu constructibles. Il semble ainsi que la densification urbaine se concentre essentiellement sur les centres-bourgs et les extensions urbaines à venir épargnant les aires pavillonnaires existantes. De même, les deux places de stationnement par logement, systématiquement dues dans le tissu pavillonnaire, sont également parfois demandées dans les centre-bourgs ce qui limite les possibilités de densification. En effet, plus la place exigée pour la voiture est grande, moins les opérateurs pourront densifier les parcelles et plus l’opération sera difficile à équilibrer. On observe donc que la densification se sectorise sur les centres anciens et que les plans locaux d’urbanisme freinent parfois les capacités de densification, en figeant notamment les tissus pavillonnaires existants.
La densification financée par l’extension urbaine
Plutôt que d’être systématiquement en opposition, il apparaît que les deux modes d’urbanisation en extension et en renouvellement urbain cohabitent parfois, le premier finançant le deuxième. Ainsi, la ZAC multi-site d’Orgères, une extension urbaine pavillonnaire comprenant également deux petits collectifs, permet à l’opérateur d’équilibrer l’opération ambitieuse en centre-bourg. Néanmoins, cette possibilité de co-financement ne semble pas forcément connue par les élus. Ainsi, une commune voisine d’Orgères projette un aménagement conséquent d’une extension urbaine de 35 ha sans demander à l’aménageur d’investir dans le renouvellement urbain, laissant ainsi au placard l’étude réalisée pour elle par l’agence d’urbanisme de Rennes.
Enfin, un projet global regroupant extension et densification se justifie d’autant plus que les capacités de densification des bourgs ne semblent pas exponentielles et atteignent tout juste les objectifs de construction des plans locaux de l’habitat. Ainsi, en proposant des typologies de logements de maisons voire de logements intermédiaires – typologie de logement considérée comme une « troisième voie alternative » entre le logement individuel et le logement collectif (Allen et al., 2010) – en cohérence avec les typologies d’un bourg rural, l’étude des capacités de densification du bourg de Petit-Mars révèle un potentiel de 137 logements, soit une capacité un peu plus faible que l’objectif de construction fixé à 150 logements.
Cette possibilité de coexistence des projets inciterait donc à ne pas opposer ces deux urbanismes, mais plutôt à les concevoir comme un tout.
Conclusion
Cette étude démontre que les projets en renouvellement dans les communes périurbaines, voire rurales, ne sont pas issus d’une volonté idéologique de préservation des ressources agricoles. Bien que de nombreux acteurs accompagnent les communes dans cette direction, les lois encore floues laissent chaque territoire libre de définir sa politique et ses objectifs de lutte contre l’étalement urbain. Sans contraintes d’agir et compte tenu des conditions difficiles de rentabilité, les acteurs de l’immobilier ne s’impliquent pas dans ce marché de la densification lorsque la concurrence des extensions urbaines s’exerce. Les seuls projets de densification qui voient le jour sont portés par des municipalités dont les élus et en particulier le maire sont très investis. Enfin, la création de projets urbains sur le long terme mais aussi le financement de la densification grâce à la réalisation d’opérations d’extension urbaine participent à la mise en œuvre de telles opérations.
Si l’étude ne démontre pas un tournant radical vers un urbanisme en rupture avec l’étalement urbain, elle montre un mouvement en marche, fait d’expérimentations et d’essaimages de nouvelles pratiques. Dès lors, d’importants enjeux à venir mériteraient d’être approfondis, qui soulèvent les questionnements suivants.
Comment les acteurs accompagnant et animant la mise en œuvre de cet urbanisme posent les premières pierres de cet urbanisme en densification dans le périurbain ? Les projets pilotes de l’Appel à Manifestation d’Intérêt pour la revitalisation des centres bourgs ou les actions de portage foncier et d’assistance à maîtrise d’ouvrage des établissements publics fonciers en seraient de bons exemples.
L’enjeu pourrait être également d’inventer des méthodes propres aux territoires périurbains. En effet, un urbanisme planifié voire parfois autoritaire de renouvellement urbain, comme il peut se faire en ville, semble beaucoup moins évident à l’échelle de petites communes. Dès lors, comment le passage des compétences de l’urbanisme à l’échelle intercommunale pourrait-il faciliter la mise en œuvre de projets en densification ?
L’échelle symbolique de ces projets est également importante car elle touche à l’espace des centres-bourgs et centres villes, qui continuent malgré tout de porter une valeur de lieux communs et partagés. Comment des dynamiques de projets urbains en concertation peuvent expérimenter également des montages opérationnels innovants intégrant les habitants à la construction de leurs espaces de vie quotidiens à l’exemple des Associations Foncières Urbaines ou des Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif ?
Enfin, comment les acteurs de la construction s’adaptent à ces changements et comment les anticipent-ils ? Car à l’avenir, si la volonté de protéger l’espace agricole comme patrimoine à préserver s’affirme, ces projets sont les premières expérimentations d’un urbanisme différent à inventer qui à terme deviendra incontournable.